mercredi 3 avril 2013

Augustine Fouillée: une morale laïque, clé d'une mutation française

Sous la marque Acatl Editions, je viens de rééditer un ouvrage ancien et d'actualité puisque notre gouvernement se propose de ré-instituer l'enseignement de la Morale à l'école. Sans entrer dans un débat politicien, regardons comment et pourquoi cela a fonctionné avec nos arrières grands-parents notamment grâce à cet ouvrage exceptionnel et oublié.

Qu'est-ce que ce livre ?
Il s’agit de la réédition vraiment unique d’un texte original présenté avec le souci de le situer dans son contexte, de présenter ses enjeux et son auteur pour comprendre en quoi il peut encore nous aider à notre époque.

Ce livre de cours moyen est passé entre les mains de plus de quatre générations d’écoliers entre 1877 et 1950 et a été publié à plus de 8,4 millions d’exemplaires. Les historiens et les sociologues en font l’un des piliers de notre société, comparable au drapeau tricolore, à la Marseillaise …

Et pourtant, l’avez-vous seulement jamais feuilleté ? Vous auriez pourtant pu, comme moi, le trouver dans le grenier de vos grands parents …mais la vérité c’est que nous l’avons oublié alors qu’il pourrait encore aujourd’hui enrichir notre regard sur nous-mêmes … Conçu et écrit en un temps où les certitudes morales et sociales qui allaient cimenter la France n’était pas encore établies, ce livre, que vous le lisiez dans le détail ou que vous le survoliez, peut vous surprendre et vous apporter plus que vous ne le pensez.

De quoi parle-t-il ?
  • pourquoi il a été nommé le « petit livre rouge de la République », juste au moment où l’apprentissage de la Morale laïque redevient un projet gouvernemental.
  • que la Morale laïque et celle enseignée à l'école libre ne différaient en fait que sur des détails.
  • le trésor d’astuces que son message patriotique a nécessité en son temps.
  • la femme derrière le pseudonyme G. Bruno et comment elle a fait le lien entre le contexte académique le plus relevé de son temps et la simplicité de son public d’enfants.
  • en quoi le secret sur son identité était une nécessité.
  • des innovations pédagogiques: « Story Telling » et illustrations (plus de 236 illustrations originales dont quelques inédites sont proposées dans ce livre).
  • des remarques et réflexions de chercheurs et philosophes à propos d’un ouvrage dont la simplicité apparente ne doit pas faire oublier qu’il est le fruit du travail d’une auteure qui côtoyait les plus grands philosophes et moralistes de son temps.
Rappel d'un contexte
Suite à la défaite de 1870, les dettes de guerre de 5 MM de francs ont été payées en 1873 en mark-or permettant ainsi le départ de l'occupant prussien. Pour cela, l'endettement de la France est passé à 25% du PIB, partant de rien. La France avait perdu 4% de sa population et son honneur. On vivait 40 ans en moyenne et la natalité était bien plus faible que dans l'Empire Allemand. Sous la Commune, on avait mangé du rat à Paris. La défaite avait révélé que nos cartes d'Etat Major n'était pas à jour, que nos soldats bretons, alsaciens ou occitans ne parlaient pas français... Que notre industrie était en retard. La Nation France paraissait bien affaiblie. Par bien des côtés, les historiens montrent que cet effondrement avait des causes structurelles liés à l'Instruction et à la Morale. Et il fallait reconquérir l'Alsace et la Lorraine ... mais pas tout de suite.

Il fallait d'abord remettre tout un peuple au travail, l'instruire et "motiver" une population divisée  par les querelles religieuses, les luttes sociales et les conséquences politiques de l'épuration de la Commune de Paris. Qu'a-t-on fait ? Je vais encore résumer abusivement. On a repris le drapeau Bleu-Blanc-Rouge, remis la capitale à Paris, adopté la Marseillaise, rendue l'enseignement public, gratuit et obligatoire. Avec cela et malgré une grave crise économique (indirectement causée par l'afflux des marks-or français en Autriche-Hongrie) et son énorme retard industriel et social, un peuple s'est remis en marche avec en tête l'idée de nation. Et ce petit livre de MORALE y est pour quelque chose !
Stop, ne portez pas trop vite de jugement bien/mal, pour/contre, droite/gauche. Oui, je sais que cette Morale était bourgeoise, conformiste, nationaliste et même raciste. Soit. Observez simplement techniquement ce qui s'est passé en deux générations.  Mona Ozouf dans Les Lieux de mémoire, tome 1 : Les France : Conflits et partages et d'autres sociologues présentent ce petit livre de nos arrières grands parents comme l'un des piliers du changement opéré, ce n'est pas pour rien.

En quoi sommes-nous concernés ?
Qu'en est-il aujourd'hui, peut-on comparer ? A 90% du PIB, la dette actuelle est en voie d'augmentation et non de résorption. Là, c'est pire qu'au début de la troisième république. Pour le reste, les choses ne se comparent pas même si l'on peut voir dans le lent mais constant déclin de notre compétitivité les prémisses de la défaite non pas militaire mais économique que nous vivons d'ailleurs déjà dans nos têtes comme chez Arcelor-Mittal. 

Si l'on veut bien ne pas se focaliser sur les différences de morale qui nous choqueraient aujourd'hui, ce livre présente un travail pédagogique de modelage des consciences. Mon propos n'est pas de disserter sur le bien fondé ou non de ce modelage, nécessaire préparation de l'opinion pour les uns, enfumage aliénant pour les autres. Mon propos est de montrer que nous vivons une époque  immédiatement moins dure mais plus complexe que celle de 1871-1918 et qui demandera d'autant plus d'énergie, d'intelligence et d'esprit de suite pour que s'opère la nécessaire mutation. Ce livre ne propose aucune solution pour aujourd'hui, il permet de réaliser comment s'est fait un changement profond des consciences dans un autre contexte.

Un travail sur la Morale en profondeur est donc sans doute nécessaire pas seulement dans le but de satisfaire les militants ou d'avoir enfin des ministres intègres mais plutôt dans celui de refonder ce qui fait l'identité et le sens d'une collectivité nationale. N. Sarkozy ne sut jamais inspirer le chantier sur l'Identité, souhaitons meilleure chance à F. Hollande qui a osé se saisir d'un mot tabou (morale) et d'un sujet difficile.

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